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« Qui essuie la lumière avec un chiffon sale ? La folie. »

CHRISTIAN BOBIN.

 

Il arrive parfois qu’une citation fuse, ainsi, sans présomption ou coordination des idées et de la parole. Deux figures sont aptes à recevoir ce genre d’égards soudain dans le monde des mots : la figure que j’appellerai ici singulière, et une autre non-singulière. La non-singulière se contentera d’un hochement de tête, d’un « Hm, c’est joli. » un peu intellectuel, un peu évasif.

Mais la figure qui reçut la citation que je m’apprête à détailler ici, était singulière. Sa singularité venait du simple fait que, intéressée, peut-être un peu amusée, elle posa cette question : « Qu’est-ce que ça veut dire ? » C’est vrai, au fond, pourquoi la folie essuie-t-elle la lumière avec un chiffon sale ? Pourquoi ce choix dans les mots, cet intérêt pour le Haut Mal ; que signifie tout ceci ?

Je me suis sentie un peu démunie face à cette question, car la citation était venue à moi prendre son sens, et ce n’était pas moi qui m’étais approchée d’elle pour le comprendre. Nous nous trouvons dans le domaine de l’évidence, ou plutôt d’un certain instinct du mot, instinct qui s’acquiert avec la force même de la citation. Je vais donc tenter d’expliquer ici ce que j’ai perçu de ces quelques mots de Bobin, mais cette analyse reste un avis personnel.

 

*

 

Christian Bobin (1951 à nos jours) est un architecte de l’optimisme, un mineur du bon. Ainsi, malgré la voie très péjorative empruntée par cette citation, on retrouve quelque chose, une prouesse infime de lumière, derrière la vitre opaque de la folie.

Tout d’abord, l’auteur avance une vision relativement péjorative de la lumière des Hommes, comme de quelque chose d’obstrué, d’une fausse étincelle, car seule est pure la lumière de Dieu (nota-bene : Christian Bobin est croyant et sa foi est grande, surtout dans ses écrits, cf. Le Très-Bas). Le geste en lui-même d’une main humaine (cf. « qui ») essuyant la lumière, ou plus vraisemblablement le bonheur, pourrait représenter cette quête de l’espoir divin : « j’essuie l’illusion de ma lumière pour découvrir celle divine qui se trouve obstruée par cette fausse image », fausseté menant à la désillusion, au malheur.

Notons alors que cette vision du malheur est, de son côté, relativement positive, car le mot « lumière » en lui-même, quel que soit son emploi, fait appel à tout ce qu’il y a de plus beau et de plus optimiste sur Terre. À partir de là, essuyer la lumière avec un chiffon sale représenterait l’enfermement, le salut sempiternel, car le fou, à la différence de l’Homme en général, ne parvient pas à se sortir de sa propre illusion, de son propre décalage, de sa propre défaite, et ne pourra alors jamais effleurer le bonheur dans sa prison invisible.

Petite référence, d’ailleurs, au supplice de Tantale, parmi tant d’autres en Enfers, qui ont pour réputation de ne jamais prendre fin. On pourrait ainsi approfondir le lien « folie » et « Enfers », mais j’ai peur de tomber dans du capilo-tracté tout frais et bien absurde (plus que tout ceci du moins).

 

Emma.

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